« C’était une seconde chance à saisir » : intégrer des grandes écoles avec un bac pro, c’est possible (2025)

Lorsqu’ils évoquent leurs premières années d’études dans le supérieur, les bacheliers professionnels interrogés sont unanimes. Aucun d’entre eux ne s’imaginait entrer dans une grande école ou simplement faire des études longues. « Devenir ingénieur, ça me semblait impossible lorsque j’ai intégré une seconde pro modélisation et prototype 3D, après avoir échoué au brevet, c’était une seconde chance à saisir », raconte Antonin Coloigner, aujourd’hui ingénieur chez Airbus et diplômé de Sigma Clermont.

Si le jeune homme garde un souvenir douloureux de ses années de collège, notamment de la 3e, lors de laquelle il a été déscolarisé pendant un temps, il s’est réconcilié avec les cours durant le lycée. « Je crois que j’étais plus mature, je comprenais mieux l’intérêt de ce que l’on apprenait, surtout en sciences. Alors que je détestais les maths au collège. Mais les cours de modélisation m’ennuyaient. » Un désintérêt que connaît également Clément Chevau lors de ses stages en chaudronnerie. Lui qui déteste l’ambiance n’a qu’une crainte : « Finir ma vie dans ces ateliers. » « C’est après cela que j’ai commencé à me dire que je devais faire des études longues. Mais de là à imaginer que j’irai en école d’ingénieur… » rigole l’étudiant, actuellement en dernière année à Polytech Dijon.

Dans son lycée, à l’occasion d’une intervention, il découvre la CPGE TSI (Classes préparatoires aux grandes écoles Technologie et sciences industrielles). « Une classe prépa scientifique en 3 ans pour apprendre à mon rythme et tenter les concours d’école d’ingénieur, ça m’a tout de suite intrigué. » Shana Maïké, alors en bac pro Vente, est conseillée par une de ses enseignantes. « J’avais de très bonnes notes, sourit la jeune fille qui va tenter cette année les concours des écoles de commerce. Alors que j’étais la dernière de ma classe au collège, j’ai été première durant tout le lycée. Pourquoi ? Sans doute parce que la voie professionnelle permet de mêler enseignements théoriques et applications pratiques, et ça me plaisait beaucoup. » Sur Parcoursup, elle candidate en CPGE ECP (Économique et Commerciale voie Professionnelle), une prépa de 3 ans destinée aux candidats des grandes écoles de commerce. La Toulonnaise est finalement admise au lycée Jean Perrin, à Marseille.

Des classes prépas pour tous les bacheliers professionnels

Ces classes préparatoires pas comme les autres recrutent sur Parcoursup. Au sein de la CPGE TSI du lycée Monge, à Chambéry, « les enseignants regardent les notes dans les matières scientifiques, mais aussi en anglais et en lettres. Sans oublier l’assiduité et le comportement », énumère François Vichet, proviseur de l’établissement. Même procédure au sein du lycée René Cassin pour la CPGE ECP, confirme Katia Pierrot. « On va chercher des élèves qui sont capables d’apprendre à apprendre », explique l’enseignante en management. Lorsqu’il se souvient de sa procédure sur Parcoursup, Clément Chevau ne peut s’empêcher de sourire : « Le plus drôle, c’est que j’ai été accepté directement en prépa, mais refusé en BTS. J’avais de bien meilleures notes en enseignements généraux qu’en enseignements professionnels, qui étaient pourtant d’un plus gros coefficient pour le bac. » Pour François Vichet, il est primordial de ne pas prendre en compte ces enseignements professionnels, « parce que nous sommes ouverts à tous les types de bac pro et qu’il est impossible de départager les élèves avec des filières si diverses », précise le proviseur.

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Une fois les portes de la prépa franchies, la peur est là. « J’avais un peu d’appréhension de partir de chez moi pour aller en internat, dans un cursus très exigeant, se rappelle Clément Chevau. Mais je pense que mes parents étaient encore plus inquiets ! Ils avaient peur que j’échoue car c’est difficile quand on vient de voie pro de viser des grandes écoles. » Pour Shana Maïké, le mot est lâché : « Un sentiment d’illégitimité. » Chez les enseignants, l’enjeu est de rassurer et accompagner ces élèves, reconnaît Katia Pierrot. « Dès le premier jour, on leur répète qu’ils ont le droit d’être ici et que l’on est là pour les accompagner. Ce sont des jeunes qui ont une revanche à prendre : ils sont sortis d’une destinée toute tracée. Évidemment que l’angoisse est là ! » Le cursus permet d’avoir, durant trois ans, un programme progressif, où l’on reprend les bases. « Même les fractions, précise Clément Chevau. Et ces piqûres de rappel font du bien. » Au lycée Monge, les bacheliers professionnels ne sont pas mélangés aux bacheliers technologiques, qui eux suivent la prépa sur deux ans. « Mais le programme est le même, insiste François Vichet. D’ailleurs, ils passent les mêmes concours, avec le même taux de réussite et des résultats très quasi identiques. »

Des cursus supérieurs comme ascenseur social

S’il est également passé par une CPGE TSI avant de devenir ingénieur, Antonin a commencé ses études post-bac dans un cursus unique en France : la Classe préparatoire aux études supérieures (CPES) du lycée Antonin Artaud, à Marseille. « Un peu par hasard, ma mère a découvert cette formation à la radio. Je suis allé aux journées portes ouvertes et, quelques mois plus tard, je prenais place sur les bancs des élèves. » Le jeune homme se souvient surtout d’un rythme très soutenu avec 40h de cours par semaine, en sciences, langues et culture générale. Un socle commun important à acquérir pour pouvoir continuer dans n’importe quelle filière de l’enseignement supérieur. « Les journées commençaient à 8h pour finir à 16h, mais on avait deux heures d’études obligatoires qui nous permettaient d’acquérir de la méthodologie. J’ai plus travaillé durant cette année que durant les deux ans de prépa. » Si lui a continué en CPGE, la suite logique à ce cursus, ses camarades ont pris bien d’autres chemins. En BTS, DUT, ou licence de chimie, « tous ont réussi ». « On nous parlait même d’un ancien élève qui avait réussi à intégrer médecine à la fac ! »

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Ces cursus à destination des bacheliers professionnels prennent la forme de « véritables ascenseurs sociaux », estime Katia Pierrot. D’ailleurs, tous se souviennent de leur premier cours de philosophie, cette matière qu’ils n’ont pas pu approcher au lycée. Antonin Coloigner se souvient lui de son enseignant de philosophie qui organisait chaque mois des séances Ciné-philo. « J’ai vraiment pu construire ma culture cinématographique grâce à ces sorties de classes. » Car, pour être vecteur d’ascension sociale, « on doit aussi leur apporter la culture légitime qu’ils n’ont pas forcément eu durant leur cursus ou à travers leur environnement familial. On sait que les élèves issus de classes populaires sont surreprésentés dans la voie pro », rappelle Katia Pierrot. Dans son lycée, des sorties culturelles sont régulièrement organisées pour les élèves le vendredi après-midi.

Ouvrir Sciences Po aux bacheliers pro

Antonin, Clément et Shana sont unanimes, ils doivent beaucoup à ces cursus spécifiques. « Tous les lycéens professionnels ne veulent pas faire des études longues, mais c’est bien de proposer cette passerelle à ceux qui le veulent », souligne Clément Chevau. Pourtant, ces dispositifs demeurent peu nombreux, souligne François Vichet. « Il n’y a que 3 prépa TSI et 4 prépa ECP. La plus ancienne date seulement de 2008. » Le proviseur insiste sur l’enjeu d’informer et de faire connaître ces formations aux jeunes : « J’ai peur que beaucoup d’élèves qui ont l’envie et les moyens de faire une prépa ne le fassent pas simplement parce qu’ils ne nous connaissent pas. » Mais les choses évoluent : cette rentrée 2024 signe la première rentrée de la CPGE TSI au lycée Chaptal à Paris. La première prépa pour les bac pro dans la capitale.

À quelques stations de métro de la nouvelle prépa, un autre établissement s’ouvre petit à petit aux bacheliers professionnels : Sciences Po Paris. En août 2023, la prestigieuse école a annoncé la possibilité pour ces lycéens de candidater pour entrer en première année. Pour les accompagner au mieux, un partenariat a été noué avec l’association Une voie pour tous, qui milite pour valoriser la voie professionnelle. « Nous allons accompagner les élèves tout au long de leur lycée pour les préparer à cette sélection », explique Dylan Ayissi, fondateur de l’association et lui aussi titulaire d’un bac professionnel gestion-administration.

Sur les trois lycées sélectionnés pour un premier essai, plusieurs élèves de seconde bénéficient d’un accompagnement avec des ateliers hebdomadaires et des sorties culturelles. « Ils passeront le même concours que les autres candidats. D’ailleurs, si en terminale ils ne veulent plus tenter Sciences Po mais aller vers d’autres filières, cette préparation les aura aidés aussi car elle prépare pour l’ensemble du supérieur », souligne le jeune homme, désormais diplômé de sciences politiques et de communication. Pour ce partenariat, il explique s’être inspiré d’autres dispositifs d’égalité des chances, « mais aucun ne concernait les bac pro ». Cette absence, tout comme le fait que les autres cursus soient relativement récents, veut dire beaucoup pour le jeune homme. « On a l’idée que la voie professionnelle ne peut mener à des études prestigieuses. C’est faux, mais il va falloir continuer de faire des efforts politiques et financiers pour que ces parcours demeurent possibles. »

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